Entrée N°1 : …Je n’ai pas envie de faire ça. Je n’ai pas envie de revoir ce stupide docteur avec ses stupides questions, et ses stupides regards. Je n’ai pas envie d’écrire dans ce stupide journal non plus, mais si je ne le fais pas maman et papa ne seront pas content. Avec un peu de chance ils vont bientôt se rendre compte que je ne suis pas fou et que je n’ai pas besoin d’aller voir un psy. Parce qu’il n’y a que les fous qui vont chez le psy. Mais je ne suis pas fou et pourtant on me force à y aller… Je m’embrouille moi-même là. Bref ! Maintenant que j’ai écris tout le monde va être content…

Entrée N°2 : Bon puisqu’il faut que je fasse sérieusement autant commencer de suite je suppose. Je sors à peine de mon deuxième rendez-vous avec le Docteur Schtrauss. Je ne suis pas malade, du moins pas physiquement mais certains – mes parents – pensent que je le suis mentalement. Bien sur ils ne le disent pas à voix haute mais ils le pensent, c’est certain. Les regards qu’ils me lancent parfois, quand ils pensent que je ne m’en rend pas compte en disent long. Maman prend cet air triste et lointain, comme si elle se sentait coupable. Elle se sent responsable je crois. De quoi je ne sais pas. Ce n’est pas comme si elle pouvait y changer quoique se soit. Il parait que toute mère digne de ce nom se sent coupable des défauts de ses enfants. Je ne sais pas ce qui me chagrine le plus : qu’elle se sente coupable, ou qu’elle pense que quelque chose cloche chez moi. Quant à papa, il est toujours parti pour son travail, alors les rares moments où il est la, on préfère ne pas en parler. On fait comme si rien n’avait changé, et on continue nos sorties en famille au parc d’attraction, ou nos pique-nique dans le jardin aux fleurs. On continue notre routine habituelle, comme si maman ne passait pas parfois ses soirées à pleurer seule dans sa chambre, comme si moi je ne l’entendais pas, comme si papa ne se demandait pas comment il avait pu faire pour engendrer un fils tel que moi…

Entrée N°3 : Encore une fois, je sors de chez mon psy. Elle veut que je m’implique un peu plus dans cette histoire de journal. Je suppose que ça ne peux pas faire de mal. Et puis si ça peut rendre le sourire à maman ne serait-ce qu’un peu. J’ai bien vu la dernière fois qu’elle était contente que j’écrive dans ce journal. Elle pense certainement que c’est un bon début pour ‘réparer’ son fils. Comme si c’était possible… Enfin, si ça peut lui faire plaisir. Qu’est-ce que qu’on ne ferait pas pour ses parents…

Entrée N°4 : Comme promis je ne me contente plus d’écrire seulement après mes rendez-vous avec ce cher Dr Schtrauss. Aujourd’hui papa est rentré plus tôt de son voyage d’affaire. Maman était tellement contente qu’elle a décidé qu’on irait tous au restaurant. Elle a mis une de ses plus belles robes et m’a obligé a mettre une chemise… Papa bien rit en voyant me tête. Ce n’est pas de ma faute si j’avais l’air d’un pingouin. Les chemises ne vont pas à tout le monde, c’est bien connu. Je préfère de loin un jean tout simple et un pull aux costumes que papa porte tous les jours. Enfin ça lui va quand même bien à lui… Bref, le resto. Tout s’est bien passé. On a mangé tranquillement, on a rit, les parents ont un peu bu. Une soirée banale en somme. En apparence tout du moins. Personne n’a remarqué que j’ai passé la soirée à essayer de ne pas dévisager le serveur. Il est si jeune, pas plus de 25 ans, un sourire à tomber par terre et pourtant… Le pauvre, il ne sait même pas ce qui l’attend. À la fin du repas comme d’habitude mes parents ont laissé un pourboire. Ils ne sont pas radins sur ce genre de chose, mais j’ai quand même rajouté un billet pour le serveur. J’espère qu’il aura le temps d’en profiter au moins…

Entrée N°5 : Aujourd’hui je suis resté enfermé dans ma chambre à écouter de la musique et à jouer sur mon ordinateur. Cela fait deux jours. Papa est reparti en voyage – il n’est même pas resté deux jours à la maison – et maman travaille toute la journée. Elle ne rentre que le soir ce qui me laisse la journée complète pour ne rien faire. Heureusement ce sont les vacances, donc rien ne m’oblige à sortir et voir du monde. Les cours ne reprennent pas avant deux semaines. Deux semaines de tranquilités, deux semaines à ne voir personne à part mes parents.

Entrée N°6 : Aujourd’hui est un jour particulier. Aujourd’hui c’est l’anniversaire de mise en couple de mes parents. Pas leur anniversaire de mariage puisqu’ils ne le sont pas. Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs… Maman dit qu’ils n’ont pas besoin de ça pour se prouver qu’ils s’aiment. Je me souviens, quand j’étais petit je ne comprenais pas pourquoi mon papa et ma maman n’étaient pas mariés. Maintenant je dois avouer que ça ne me fais plus rien. Maman a raison, un mariage ne changerait rien à leur situation ou à la mienne. Sauf que je porterai le nom de mon père. Brown est le nom de ma mère, mon père s’appelle Lanthier. Quitte à choisir je préfère encore celui de ma mère. Ce n’est peut-être qu’une question d’habitude mais je trouve que Hayden Lanthier sonne bizarre…

Entrée N°7 : La voisine m’a encore regardé bizarrement ce matin. Je suis sorti faire des courses – et surtout parce que maman voulait se retrouver un peu seule avec papa – et la voisine était à sa porte. Depuis ce qui s’est passé l’année dernière, elle me lance ces regards accusateurs à chaque fois qu’elle me croise. Comme si j’étais responsable pour ce qui s’est passé. Je ne pouvais rien faire à la mort de son mari. Je n’ai rien à voir avec ça. Mais la vieille dame n’en a rien à faire de mes explications. Pour elle, je l’ai tué d’une façon ou d’une autre, comme si c’était moi qui avait fait dérailler ce train dans lequel son mari se trouvait.

Entrée N°8 : Aujourd’hui j’avais rendez-vous avec le Docteur Schtrauss, mais comme je le savais le rendez-vous a été annulé. Pour toujours. Le doc est mort il y a deux jours. Accident de voiture. J’espère qu’il m’aura écouté au moins. Qu’il aura fait ce qu’il avait à faire avant de mourir.
Je me souviens encore de notre premier rendez-vous. Quand maman lui a expliqué mon ‘problème’ elle était loin d’être clair. Je ne peux pas lui en vouloir non plus, car je ne comprends pas vraiment moi-même, alors que je vis avec ça depuis tout petit. Elle lui a dit que je croyais voir les morts, ce que je n’ai pas jugé bon de rectifier, mais ce n’est pas ça du tout.

En fait je vois lorsque les gens vont bientôt mourir. Chaque personne possède une sorte d’aura autour d’elle – du moins à mes yeux – et plus celle-ci devient foncée, plus la personne est proche de sa mort. J’ai toujours pu percevoir cette aura, d’aussi loin que je me souvienne, mais il m’a fallu de nombreuses années avant de comprendre ce que cela représentait. Et il m’a fallu encore plus de temps pour pouvoir traduire ces auras selon leur intensité. Maintenant lorsqu’une personne est proche de sa mort, je peux donner le temps qu’il lui reste à la journée prêt. Par contre tant qu’une personne n’est pas proche de sa mort, je ne pourrais dire le temps qu’il lui reste, juste qu’elle a encore le temps devant elle. Mais ce genre de chose peut changer si rapidement… C’est d’ailleurs comme ça que je me suis trahis devant mes parents. J’ai toujours su cacher ce ‘don’, dès que j’ai été en âge de comprendre que ce n’était pas normal de voir ces auras. Mais il y a quelques mois j’ai craqué devant maman.

D’habitude les gens dont je vois la mort ne sont pas des personnes proches, comme le voisin, ou ce serveur, ou le docteur, mais cette fois-là me touchait personnellement. Nat… Mon meilleur ami. Un jour tout allait bien, son aura était aussi claire que le jour de notre rencontre quatre ans plus tôt, et du jour au lendemain elle était devenue noire, indiquant une mort certaine dans les jours qui suivaient. D’habitude je ne tente pas d’éviter les morts des gens, je me dis que c’est le destin ou une autre bêtise du genre, mais la, je ne pouvais pas rester chez moi à ne rien faire. Alors paniqué, inquiet je lui en ai parlé. Je lui ai avoué mon secret, je lui ai dit de ne pas sortir de chez lui pendant quelques jours, de jouer les malades auprès de ses parents pour qu’il reste bien en sécurité chez lui… Nat est – était – mon meilleur ami, alors même s’il trouvait ça bizarre, il m’a fait confiance. Il n’aurait pas du. Il s’est fait passé pour malade auprès de ses parents. Il est resté chez lui. Ses parents devaient travailler, ils l’ont donc laissé seul. Ils n’étaient pas là quand le feu s’est déclaré. Ils n’étaient pas là pour réveiller leur fils qui dormait encore dans sa chambre. Ils n’étaient pas là pour appeler les pompiers… Nat est mort dans sa chambre, asphyxié. S’il ne m’avait pas écouté il aurait été en cours avec moi, en train de plancher sur un problème de math. Mais il ne l’était pas, il était dans sa chambre. Et c’est la qu’il y est mort, par ma faute.

Quand ma mère m’a annoncé la terrible nouvelle le soir même, je me suis effondré. J’ m’en voulais tellement que j’ai tout avoué à ma mère, qui contrairement à Nat ne m’a pas cru. Les mères entendant tellement de folies sortir de la bouche de leurs enfants qu’elles ne peuvent pas croire à toutes. Elle a pensé que c’était le choc et le chagrin qui me faisait dire ça. mais quand pour lui prouver que je ne mentais pas j’ai continué à lui montrer des gens qui allaient mourir, elle a compris que je ne mentais pas. Bien sur elle ne croit pas vraiment à mon don. Elle pense juste que moi j’y crois. Elle me croit dingue en quelque sorte. Et c’est pour cela qu’elle m’a pris ses rendez-vous avec le psy. Maintenant que même lui est mort, je ne sais pas ce qu’elle va faire...